Jeff Bezos veut expédier toute l’industrie polluante dans l’espace


Illumination visionnaire, ou divagation fiévreuse d’un multi-milliardaire en pleine descente d’adrénaline ?

Le 20 juillet 2021, à plus de 100 kilomètres d’altitude, Jeff Bezos et les autres passagers de la mission de Blue Origin ont eu quelques minutes pour regarder notre planète droit dans les yeux. Une expérience qui peut changer une personne de façon assez nette; de nombreux astronautes ont décrit ce qu’on a depuis baptisé l’effet de surplomb.  Cela désigne une sorte de prise de conscience de notre condition humaine, grâce à la vue de la Terre dans son ensemble. Et le fondateur d’Amazon, lui, semble avoir ressenti cet effet très intensément.

Quand vous regardez la planète, il n’y a pas de frontières”, explique-t-il à NBC News. “C’est une planète, que nous partageons, et qui est fragile… Nous vivons sur cette magnifique planète. On n’imagine pas à quel point l’atmosphère est fine avant de la voir de l’espace. On vit à l’intérieur, et elle a l’air si grande; on a l’impression de pouvoir la négliger, la maltraiter. Quand vous allez là-haut, vous voyez à quel point la Terre est petite et fragile

Bezos semble avoir eu sa petite épiphanie personnelle à bord de la capsule. En tout cas, le discours tranche avec sa rhétorique corporate affûtée; le porte-étendard numéro un du capitalisme serait-il en plein cas de conscience ? Ce qui est sûr, c’est que lorsque l’homme le plus riche du monde passe par une révélation de ce type, on est en droit d’attendre des actes concrets. Bezos aurait-il enfin prévu de mettre en place quelques mesures toutes simples pour réduire l’impact environnemental d’Amazon ? Pas exactement. À la place, il a eu une meilleure idée : déporter toutes les industries polluantes dans l’espace, tout simplement.

Un concept plus que discutable

Une idée qui, vue de la Terre, semble en tout cas farfelue à souhait. Certes, la baisse des coûts et la démocratisation des voyages vers l’espace font partie des priorités de l’aérospatiale privée; mais une telle entreprise paraît tout simplement inconcevable à court comme à moyen terme. Bezos admet volontiers que cela prendrait “des décennies” à accomplir, mais la pertinence de l’opération demeure discutable.

La raison tient à la nature des industries qu’il faudrait déporter en orbite pour avoir un impact tangible sur l’environnement. Prenons l’exemple des émissions de gaz à effets de serre. Aujourd’hui, selon ce critère, les trois industries les plus polluantes sont, par ordre croissant : l’agriculture, les transports, et l’énergie. À eux trois, ces secteurs représentent selon les sources 55% à 75% des émissions de gaz à effet de serre totales. Mais comment diable pourrait-on envoyer ces industries dans l’espace ?

L’industrie lourde est souvent inamovible

Pour l’énergie, le concept lui-même paraît aberrant. Pourquoi dépenser une énergie folle pour envoyer des matières premières en orbite, puis faire le chemin inverse ? Et comment faire pour transporter de l’électricité depuis l’orbite ? Pour l’agriculture, c’est encore pire; cela impliquerait de construire une serre géante, en orbite ou sur un autre corps céleste. Nous vous laissons imaginer le cauchemar logistique que représenterait l’approvisionnement en eau, en oxygène et en nutriments… Et en ce qui concerne les transports, c’est une industrie qu’on ne peut par définition pas envoyer en orbite.

Avec un peu d’imagination, il existe certaines autres industries qui s’y prêteraient mieux, comme la métallurgie, où il serait possible de trouver des matériaux sur place. Mais là encore, le problème du coût astronomique (c’est le cas de le dire)  risque de rendre ce scénario non-viable. Et surtout, dans ce cas de figure, le coût écologique de ces voyages incessants vers l’espace dépasserait certainement le bénéfice de la délocalisation. Il faut aussi considérer le fait que notre espèce a un certain passif lorsqu’il s’agit de ruiner certains espaces avant même d’y avoir mis les pieds. Est-ce bien judicieux de faire de même avec l’espace, avant même d’avoir pu en anticiper les conséquences ? Puisque l’humanité est est probablement amenée à prendre le chemin des étoiles un jour, c’est une problématique qu’il faut aussi garder en tête. Et surtout, on ne peut pas s’empêcher de se demander s’il n’y aurait pas d’autres pistes à privilégier…



Source link Journal du Geek