un célèbre DJ deepfake la voix d’Eminem en plein concert


Cette expérience relativement anecdotique et sans volonté de nuire montre tout de même l’ampleur du vide juridique qui existe autour des IA génératives.

Lors d’un concert récent, David Guetta a surpris son public en utilisant la voix du rappeur américain Eminem. L’extrait en question était totalement inédit, et pour cause : le DJ et producteur français l’a créé de toutes pièces grâce à des outils basés sur l’intelligence artificielle !

Dans une vidéo partagée par Guetta sur Twitter, on reconnaît immédiatement la voix de l’auteur de Lose Yourself, Stan et Without Me. Pour arriver à ce résultat, il a utilisé deux sites web (sans préciser lesquels) qui proposent des outils basés sur l’IA.

Le premier était un algorithme de synthèse de texte, un peu comme le fameux ChatGPT qui ne cesse de défrayer la chronique en ce moment. La spécificité du programme en question, c’est qu’il permet de générer des paroles en imitant le style d’écriture d’un artiste.

Guetta s’en est servi pour générer deux phrases basées sur le style du rappeur à propos de Future Rave. Ce terme désigne un sous-genre de musique électronique qu’il lui-même a lancé à la fin des années 2010 en compagnie du DJ danois Morten Breum. Il s’est ensuite rendu sur un autre site pour générer un extrait audio à partir de ces deux vers, le tout avec la voix bien identifiable d’Eminem. Et apparemment, le résultat a fait son petit effet lors du concert. « Les gens sont devenus fous », sourit Guetta à la fin de la vidéo.

Enter l’IA et l’art, un gros vide juridique

En revanche, il n’est pas certain que le rappeur américain apprécie autant cette initiative. Car en pratique, même si le français a clarifié la situation par la suite, les spectateurs du concert n’avaient aucun moyen de savoir qu’il s’agissait d’un extrait généré par l’IA. Ils auraient donc pu l’interpréter ce deepfake vocal comme une sorte de dédicace d’Eminem à la marque Futur Rave du DJ. Et cette ambiguïté est loin d’être anodine. Cela pose des tas de questions à la frontière de l’éthique artistique et du droit d’auteur.

Le fait d’utiliser l’œuvre d’autres artistes est strictement encadré par la loi dans de nombreux pays. En France, l’article L122-4 du Code de la Propriété intellectuelle rappelle par exemple que « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. »

Techniquement, l’expérience de Guetta n’est pas soumise à cette réglementation, puisqu’il ne s’agit pas d’une reproduction d’un enregistrement préexistant. Mais dès qu’on intègre l’IA à l’équation, tout devient beaucoup plus flou. On arrive rapidement dans une véritable zone d’ombre juridique.

Le problème, c’est que les réseaux de neurones artificiels qui servent de base à ces outils doivent forcément être entraînés au préalable. Cela implique de leur fournir du matériel de référence. Et en l’occurrence, il s’agissait nécessairement d’enregistrements audio du véritable Eminem. Et ces derniers sont généralement couverts par le droit d’auteur…

C’est un souci qui a déjà été soulevé à de nombreuses reprises. On pense notamment aux algorithmes de génération d’image, comme DALL-E ou Midjourney. Ces outils qui sont entraînés à l’aide d’images moissonnées à la volée sur Internet, souvent sans tenir compte d’un éventuel copyright. Mais ici, le problème est plus concret. Car s’il n’avait pas utilisé la voix (et par extension, l’image de marque) d’un artiste bien référencé, l’expérience de Guetta n’aurait probablement pas eu le même effet.

Entre deepfakes et vrais humains, la majorité des observateurs ne font pas la différence

De plus, l’article L122-4 cité plus haut couvre aussi « la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ». Les observateurs les plus pointilleux pourraient donc tout de même considérer cette initiative comme problématique.

Une blague sans conséquences… pour le moment

Dans ce cas précis, Guetta insiste sur le fait qu’il n’avait absolument aucune volonté de nuire. Il décrit cette expérience comme une « blague » bon enfant et sans prétention. Il précise aussi qu’il ne compte « évidemment pas faire une utilisation commerciale » de ce matériel. Et en pratique, on imagine assez mal comment ce petit extrait pourrait causer le moindre tort au rappeur.

Mais cette anecdote montre tout de même l’ampleur du vide juridique qui existe en ce moment autour de l’IA appliquée à l’art. Il faut donc espérer que les législateurs s’empareront de cette thématique, et que des mentions explicites à l’IA seront rapidement intégrées aux textes de loi. Car dans le cas contraire, les ayants droit pourraient avoir du mal à se défendre dans les cas de figure nettement plus problématiques qui pourraient émerger assez rapidement.





Source link Journal du Geek